Donald Trump reçoit cinq chefs d’État africains à Washington

Ce 9 juillet à Washington, dans un hôtel discret mais stratégiquement choisi, l’ancien président américain Donald Trump a reçu cinq chefs d’État africains lors d’un dîner de travail qualifié de « haut niveau ». Si les caméras ont capturé les poignées de main, les sourires polis et les discours de circonstance, ce qui s’est joué derrière les portes fermées allait bien au-delà de la simple courtoisie diplomatique. Ce dîner était un test, un signal, et peut-être un préambule à une redéfinition plus profonde des relations entre les États-Unis et le continent africain. Mais plus encore, il était une alerte lancée aux dirigeants africains : le monde change, les alliances se redistribuent, et l’Afrique ne peut plus se permettre de suivre sans négocier.
Donald Trump, bien qu’actuellement hors des fonctions officielles, reste une figure centrale du paysage politique américain. Son possible retour en 2025 inquiète ou enthousiasme, selon les continents. Pour certains, il est l’homme du chaos. Pour d’autres, celui du franc-parler, de la débureaucratisation, du réalisme. En conviant cinq dirigeants africains, il montre que l’Afrique fait partie de ses préoccupations stratégiques. Il ne s’agit pas d’altruisme. Il s’agit de géopolitique pure.
Ce dîner a eu lieu dans un contexte mondial complexe. L’ordre international est en recomposition. L’hégémonie occidentale vacille. La Chine s’impose. La Russie redessine ses alliances. Le Sud global prend conscience de son poids. Et l’Afrique, longtemps considérée comme un terrain de compétition, commence à se positionner comme un acteur capable de résister, de choisir, de poser ses conditions. Encore faut-il qu’elle en ait la volonté et les moyens. Le dîner du 9 juillet doit être lu sous cet angle. Car si Trump s’intéresse à l’Afrique, ce n’est pas pour l’observer, c’est pour la convaincre de rejoindre une autre logique, plus directe, plus transactionnelle, plus « américaine ».
Il est essentiel de décoder les signes. L’absence de communiqué final n’est pas une faiblesse. C’est un style. Trump agit en homme d’affaires : les contrats d’abord, les annonces plus tard. Les sujets abordés ? Sécurité, infrastructures, nouvelles technologies, agriculture, santé, réseaux de transport, mais aussi influence culturelle et informationnelle. L’objectif était clair : prendre la température, identifier les interlocuteurs réactifs, proposer des échappatoires à la lenteur des institutions multilatérales. Une diplomatie du résultat, qui flatte les dirigeants pressés de montrer des avancées concrètes.
Mais l’Afrique doit rester vigilante. Car ce que Trump propose n’est pas un partenariat mais un marché. Un marché où l’on échange du soutien contre de la fidélité, de l’argent contre des positions, de l’influence contre du silence. C’est un modèle dangereux si l’on n’a pas défini clairement ses lignes rouges. Les cinq chefs d’État présents l’ont sans doute compris, mais sauront-ils le traduire dans les faits ?
Le président du Sénégal, dans une logique de développement durable, a mis en avant un plan d’électrification rurale intelligent, reposant sur les nouvelles technologies vertes et les investissements américains en infrastructure. Le président du Ghana a plaidé pour un corridor logistique ferroviaire liant le port de Tema aux zones industrielles intérieures, un projet destiné à contrer la prépondérance chinoise dans le domaine.
Le Rwanda, fidèle à sa vision de digitalisation, a proposé un cluster régional de cybersécurité basé à Kigali. Le Nigeria a mis sur la table un programme complet de coopération en matière de renseignement et de sécurité intérieure, avec en toile de fond la stabilisation du Nord. Le Kenya, enfin, a plaidé pour la création d’un système continental d’assurance santé pour les femmes rurales.
Tous ces projets ont un point commun : ils sont concrets, chiffrés, réalistes. Ils montrent que les chefs d’État africains veulent éviter les grands discours et avancer sur des dossiers tangibles. C’est une bonne chose. Mais cela ne suffit pas. Car le danger, ici, c’est que cette volonté d’efficacité se transforme en fragilité face à une puissance qui sait jouer des rapports de force.
L’Afrique, rappelons-le, n’est pas un terrain vide. C’est un espace d’enjeux globaux. Et si Trump revient au pouvoir, il est probable qu’il cherche à recomposer les alliances en contournant les cadres institutionnels pour privilégier les canaux directs. Cette logique désintermédiée peut séduire les dirigeants pressés. Mais elle affaiblit les solidarités africaines. Elle divise. Elle oppose. Elle individualise ce qui devrait être intégré.
Il est donc impératif que l’Afrique conçoive une stratégie diplomatique commune, capable d’accueillir les offres tout en imposant ses conditions. Ce dîner peut être une leçon. Il rappelle à chaque État africain que l’heure n’est plus à l’attentisme. Que l’avenir ne sera pas donné, mais conquis. Que les compétitions sont ouvertes. Et que celui qui ne définit pas ses priorités verra d’autres le faire à sa place.
Le monde entre dans une ère de rapports de force renouvelés. Les alliances se font et se défont au rythme des intérêts. Il ne faut pas s’en offusquer. Il faut s’y préparer. Et c’est dans cette logique que les rencontres comme celle du 9 juillet doivent être interprétées non comme des cadeaux, mais comme des tests. Tests de souveraineté. Tests de stratégie. Tests de cohésion.
L’Afrique doit apprendre à parler d’une seule voix quand il le faut. Et à respecter la diversité de ses choix internes sans se renier. Elle doit cesser d’attendre que les puissances lui ouvrent des portes. Elle doit frapper, poser ses conditions, faire entendre ses propositions. Elle ne peut plus se contenter de protester ou de réagir. Elle doit prévoir, anticiper, structurer.
Ce dîner du 9 juillet ne doit pas être lu comme un moment isolé. Il s’inscrit dans une métamorphose plus large des relations internationales. Et il nous oblige. Il oblige les intellectuels, les diplomates, les journalistes, les citoyens à penser en stratèges. À refuser la diversion. À saisir l’essentiel.
Car au fond, la question n’est pas de savoir si Trump est l’homme de la situation. La vraie question est : l’Afrique est-elle prête à se faire respecter ? A-t-elle les outils pour résister aux logiques de fragmentation ? Peut-elle imposer des lignes rouges communes, et les faire respecter ? Peut-elle, enfin, devenir un acteur qui choisit ses alliances au lieu de les subir ?
Le continent a des ressources. Il a des talents. Il a des jeunes. Il a des femmes puissantes. Il a une pensée. Il lui manque peut-être encore une volonté de stratégie commune. Mais cette volonté peut naître. Elle peut grandir. Elle peut s’incarner.
Et c’est alors que l’Afrique n’aura plus besoin d’assister à l’Histoire.
Elle la dirigera.