Analyse NB – Le Canada et l’Afrique : un pacte transatlantique d’influence
Quand Ottawa choisit de faire de l’Atlantique un levier stratégique pour une coopération durable, éthique et géopolitique avec le continent africain.

L’Afrique n’est plus ce continent d’attente. Elle est devenue moteur, accélérateur, conscience. Elle n’attend plus qu’on la découvre, elle impose ses priorités. Elle ne réclame plus qu’on l’aide, elle invite à coopérer. Dans ce moment précis de l’histoire, où les pôles du monde se déplacent, où les anciennes certitudes chancellent, le Canada, ce pays si attaché à sa stabilité, à sa diversité, à son modèle d’équilibre, vient de poser un acte diplomatique fort : redéfinir entièrement sa relation avec l’Afrique. Non plus en marge, non plus en accompagnement, mais en engagement stratégique. Ce que le gouvernement canadien appelle aujourd’hui la Stratégie du Canada pour l’Afrique est plus qu’un document de politique étrangère : c’est un nouveau pacte. Un pacte d’influence, de sécurité et de prospérité partagée.
Cette nouvelle orientation ne vient pas de nulle part. Elle est le fruit d’une accumulation. Celle d’un monde qui se fragmente. D’une planète qui se réchauffe. De chaînes d’approvisionnement qui se tendent. D’une jeunesse africaine qui explose démographiquement et qui réclame sa place dans l’économie mondiale. De tensions internationales qui redessinent les alliances, déplacent les centres de gravité, et posent une question brûlante à tous les pays : avec qui, pour quoi, et selon quelles valeurs veut-on construire l’avenir ? Le Canada a choisi l’Afrique. Et ce choix n’est ni symbolique, ni sentimental. Il est rationnel, stratégique, structurant.
Car le Canada n’est pas une puissance coloniale en Afrique. Il n’a pas de passé impérial à solder. Il n’a pas à réparer, mais à proposer. Il peut ainsi se positionner avec sincérité comme partenaire neutre, capable de bâtir des relations sur la confiance, et non sur la domination. Dans un continent saturé par les influences concurrentes – chinoise, russe, turque, émiratie, française, américaine – cette neutralité apparente du Canada devient un actif diplomatique. Mieux encore : elle devient un levier. Un levier pour faire émerger une diplomatie utile, coopérative, technique, inclusive. Une diplomatie d’écoute et d’engagement.
Le texte stratégique rendu public par le gouvernement canadien ne se contente pas de déclarations générales. Il repose sur cinq axes précis, pensés en dialogue avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine. C’est là un signal fort : le Canada reconnaît le droit à l’Afrique de définir elle-même ses priorités. Il ne projette pas une vision canadienne du développement, il aligne son action sur la trajectoire africaine. C’est un geste de maturité géopolitique. Et c’est une rupture par rapport à certains acteurs qui, encore aujourd’hui, traitent l’Afrique comme un réceptacle passif d’influence et de projets conçus ailleurs.
Ce qui frappe d’abord, c’est l’ambition économique du plan. Le Canada ne veut plus seulement apporter de l’aide : il veut co-investir. Diversifier ses chaînes d’approvisionnement. Établir des corridors commerciaux durables. Mieux comprendre les logiques de la ZLECAf. Offrir une alternative aux grandes routes chinoises. Dans un monde où les minerais critiques deviennent la monnaie d’un nouvel ordre mondial, l’Afrique est au cœur des enjeux. Et le Canada le sait : sans coopération stratégique avec les pays producteurs africains, il ne pourra sécuriser ni sa transition énergétique, ni sa souveraineté industrielle. C’est donc dans un esprit de partenariat que le Canada veut accompagner l’Afrique dans la transformation locale de ses richesses, dans la formation de sa jeunesse, dans le financement de ses infrastructures vertes.
Mais l’économie ne suffit pas. Il faut la paix pour qu’elle prospère. Le deuxième pilier de la stratégie canadienne touche à la sécurité. Là encore, le Canada parle un langage différent. Il ne promet pas des bases militaires ni des déploiements massifs. Il parle de prévention des conflits, de soutien aux opérations de paix africaines, de renforcement des capacités locales. Il cible le Sahel, les zones de fragilité, les foyers de terrorisme. Il y associe des enjeux trop souvent négligés : les femmes dans les processus de paix, les jeunes dans les politiques de résilience, la lutte contre les cybermenaces, la gouvernance démocratique comme facteur de sécurité. Cette approche élargie de la paix, qui ne se réduit pas à la logique militaire, fait du Canada un allié crédible auprès des acteurs africains qui réclament des solutions durables aux conflits, et non des interventions épisodiques.
La stratégie canadienne mise aussi sur un troisième levier : l’éducation et l’employabilité. Car le développement humain est la base de tout. À l’heure où le continent africain comptera bientôt la plus grande main-d’œuvre mondiale, le défi de la formation est central. Le Canada s’engage à financer la formation technique, à soutenir les universités, à multiplier les partenariats de recherche, à faire de la jeunesse un vecteur de développement et non une source de tensions. Cette diplomatie des compétences, où les savoirs circulent, où les institutions collaborent, où les diasporas deviennent actrices du changement, est l’un des axes les plus porteurs du projet canadien.
Ce lien avec la diaspora est d’ailleurs une clé. Le Canada compte une communauté africaine dynamique, éduquée, enracinée, influente. Elle est un pont vivant entre les deux continents. Le gouvernement canadien entend désormais lui donner une place institutionnelle dans l’élaboration des politiques africaines. C’est à la fois une reconnaissance de leur rôle, et un outil d’intelligence stratégique. Qui mieux que les binationaux pour comprendre les besoins locaux et orienter l’action politique et économique ? Dans ce domaine, le Canada pourrait devenir un modèle pour d’autres nations qui peinent encore à valoriser leur diaspora.
Mais tout cela n’aurait que peu de portée si l’Afrique n’était pas devenue, elle aussi, un centre de pouvoir mondial. L’Union africaine a désormais un siège au G20. Le continent est le plus grand bloc électoral à l’ONU. Ses États pèsent dans les équilibres énergétiques, numériques, migratoires, climatiques. Dans cette nouvelle grammaire du multilatéralisme, le Canada sait qu’il ne peut plus ignorer l’Afrique. Il veut donc, à juste titre, l’inclure comme partenaire sur la scène mondiale. Il plaide pour sa meilleure représentation au Conseil de sécurité. Il appuie son rôle dans les réformes du système financier international. Il fait de l’Afrique non plus un objet d’aide, mais un sujet d’action globale.
Ce changement de paradigme n’est pas sans risques. Car toute avancée dans ce sens heurtera d’autres ambitions. La Chine est déjà omniprésente. La Russie, bien que contestée, sait tirer profit des zones grises. D’autres puissances, comme la Turquie, les Émirats ou le Brésil, multiplient les initiatives. Le jeu est ouvert, mais féroce. Le Canada doit donc se doter des moyens de son ambition. Pas seulement en financements, mais en cohérence. En lisibilité diplomatique. En capacité d’ancrer ses initiatives sur le long terme. En résilience face aux retours de bâton. Surtout, il devra veiller à ne jamais reproduire les erreurs du passé : imposer des agendas, ignorer les dynamiques locales, parler sans écouter.
L’avantage du Canada réside dans sa capacité à incarner une diplomatie éthique. Une diplomatie qui ne se contente pas de signer des accords, mais qui accompagne des transitions. Qui respecte les cultures. Qui comprend que la souveraineté des peuples ne se négocie pas, mais se partage dans l’action commune. Cette diplomatie-là, l’Afrique en a besoin. Et elle saura reconnaître ses partenaires sincères.
Il ne s’agit donc pas pour le Canada de conquérir l’Afrique. Il s’agit de s’y ancrer, d’y investir, d’y apprendre. Car l’Afrique, aujourd’hui, n’est pas un continent à rattraper. C’est un continent à suivre, à écouter, à respecter. C’est un continent qui, tout en accueillant les partenariats, exige désormais qu’ils soient équitables. Le Canada l’a compris. Sa stratégie pour l’Afrique en est la preuve. Reste maintenant à en faire une réalité tangible, visible, durable.
Le Canada n’est pas une puissance militaire. Il ne prétend pas imposer un ordre. Il n’a pas les moyens de la domination, mais il a les ressources de l’influence. L’influence par l’éducation. Par la santé. Par la recherche. Par le commerce équitable. Par le soutien aux institutions. Par la promotion des droits. C’est cette influence-là que le continent africain attend. Et c’est celle que le Canada peut désormais incarner s’il tient le cap.
L’Atlantique, longtemps oublié, devient ainsi un axe d’espérance. Une colonne vertébrale entre deux continents que tout pourrait unir : la jeunesse, la langue, la foi dans l’avenir. De Montréal à Dakar, d’Halifax à Abidjan, de Québec à Kinshasa, de Vancouver à Kigali, ce pont transatlantique d’influence se construit. Il porte un nom, une promesse, une stratégie.
C’est maintenant à l’histoire d’en juger. Et aux peuples d’en bénéficier.